Exonérer 80% des Français de la taxe d'habitation, est-ce vriment une "audace" ? A cette question posée dans l'édition du mercredi 19 avril 2017 de l'Humanité, André Laignel qui soutient Benoit Hamon prend position et affirme que cette proposition est le dernier avatar à la mode d'une vieille lubie libérale. Rappel des faits : la proposition d'Emmanuel Macron a suscité des questions notamment sur les risques que cette mesure fait peser sur le financement des collectivités locales.
La proposition d’Emmanuel Macron d’exonérer de taxe d’habitation 80% des ménages est l’archétype de la mesure électoraliste qui pousse comme les mauvaises herbes sur le sol fertile de nos campagnes présidentielles. Prenant prétexte des inégalités -réelles !- de cet impôt, on nous propose tout bonnement de lui faire la peau. Sous des atours de nouveauté, voire de modernité, cette «idée» n’est en fait que le dernier avatar à la mode d’une vieille lubie libérale éculée. Le candidat a mis tout son talent de publicitaire pour rempaqueter une proposition quelque peu défraichie dans un emballage qui attirera l’oeil du chaland médiatique, qui fera le « buzz ». Mais c’est faire oublier que la suppression de l’impôt local -en l’occurrence ici la taxe d’habitation- a une histoire politique déjà ancienne et constitue le produit d’une idéologie bien établie. En effet, ce rétrécissement à peau de chagrin de la taxe d’habitation est le double symétrique quasi-parfait de la suppression brutale de la taxe professionnelle décidée par Nicolas Sarkozy. Les élus locaux subissent encore les conséquences néfastes de ce caprice d’un soir qui a complètement bouleversé l’équilibre des finances locales. On pourrait remonter loin la frise chronologique des ressources fiscales locales supprimées par la droite ; après tout, la DGF n’est qu’un -imparfait !- remboursement d’impôts successivement supprimés. Cette histoire, des premiers libéraux à Emmanuel Macron, est sous-tendue par la même méfiance à l’égard des collectivités territoriales. Car le dynamisme et la pérennité des impôts locaux sont la première garantie de la liberté d’action de nos communes, de nos départements, de nos régions. Leur supprimer tout levier fiscal c’est imposer la puissance du pouvoir central en augmentant jusqu’à l’overdose la dépendance des élus aux dotations qu’il veut bien concéder. D’ailleurs, la prochaine étape de l'agenda libéral est de conditionner le montant des dotations à la « vertu » des politiques menées par les élus locaux ; Macron ne l’écarte pas. A l’opposé de cette vision infantilisante, il y a l’élan de la décentralisation dont la gauche a écrit les plus belles pages. Cette décentralisation dont l’essence même consiste à faire confiance aux territoires en laissant aux collectivités la liberté d’agir et d’innover, mais surtout les moyens concrets d’exercer cette liberté. Cette question des impôts locaux est donc bien autre chose qu’un débat d’expert-comptables ; elle est au contraire un marqueur politique fort qui conditionne la place accordée aux collectivités au sein de la puissance publique.
Toujours sur le plan politique, il existe un autre effet pervers à la miniaturisation de la taxe d’habitation. La concentration de son assiette sur une faible portion de la population minerait encore un peu plus le consentement à l’impôt. Or on sait que ce principe fondateur de la République est déjà largement mis à mal les dysfonctionnement de notre système fiscal, jugé complexe et faiblement correcteur d’inégalités.
Je suis néanmoins bien conscient des imperfections de l’actuelle taxe d’habitation. Le mal est bien connu de mes collègues : les bases sont obsolètes, les abattements et autres exonérations - jungle obscure !- se font souvent au détriment des collectivités. Le vrai courage politique consiste alors à faire advenir une réforme profonde et technique, en concertation avec les élus locaux, et dont les bases ont d’ores et déjà été posées par un important travail du Comité des Finances Locales. Mais il est vrai que c’est moins « marketing » !
crédit photo : Margot L'Hermite.