Lors de l'Assemblée générale statutaire, André Laignel, premier vice-président délégué de l'Association des Maires de France, a présenté le complément au rapport d'activité de l'AMF dans le discours ici reproduit en intégralité.
" Monsieur le Président,
Chers collègues,
Chers amis,
Nous sommes rassemblés nombreux pour un congrès important.
Important, d'abord, par votre présence – près de douze mille inscrits pour ce congrès – important aussi par le moment auquel il se déroule.
Nous avons devant nous des textes qui peuvent entraîner beaucoup de bouleversements dans la vie de nos communes, de nos intercommunalités, et c'est en ce moment, en cette période, à l'occasion de ce congrès, qu'il faut, tout au long des trois jours de travaux, que nous fassions connaître à l'Etat et à l'ensemble des institutions quelle est la position des maires de France.
L'année qui vient de s'écouler a été une année complexe : une année bousculée en interne, le président y a fait allusion, il a évoqué un nouvel équilibre, une volonté d'unité que nous partageons, et c'est bien que nous ayons pu œuvrer ensemble en ce sens.
Une année scindée aussi, puisqu'en son milieu il y avait des consultations électorales et que cela a conduit à un rythme de travail différencié entre la période qui était couverte par le nécessaire, indispensable et riche débat national et, bien entendu, les travaux qui sont maintenant à notre ordre du jour en fonction des souhaits et des engagements de la nouvelle majorité, du nouvel exécutif.
Pendant cette année chargée, scindée, complexe, nous avons pu répondre présent sur tous les fronts grâce à la qualité du personnel de l'Association des maires de France, et je voudrais ici saluer leur disponibilité, leur compétence, leur capacité à répondre, dans des délais souvent très brefs, aux interrogations légitimes qui sont les nôtres, et je voudrais ici que nous les saluions et que nous les remercions pour le travail qu'ils accomplissent et sans lequel nous ne serions pas l'Association des maires de France.
Avant les élections, cela a été rappelé par Jacqueline GOURAULT, nous avons été très occupés par l'intercommunalité. Au-delà de tout ce qu'elle nous a dit et qui est juste, ce n'est pas un dossier totalement fermé. Ce n’est pas parce qu’on nous dit qu'il y a des schémas départementaux dans beaucoup de départements, maintenant une très large majorité, que tout est pour cela réglé. Et je me permets d'attirer votre attention sur le fait que souvent, dans beaucoup de départements, nous avons adopté des schémas départementaux, mais sans avoir les nécessaires simulations financières. Et en ce moment, j'entends beaucoup de gens qui ont des surprises. Et donc je me permets de dire à chacun d'entre vous : on nous a demandé, selon une expression bérichonne, « d'acheter un lièvre en sac », mais maintenant il est temps d'ouvrir le sac et de regarder si le lièvre a encore des oreilles.
Et donc je vous appelle à la vigilance sur la mise en oeuvre de l'intercommunalité elle-même. Nous sommes tous pour l'intercommunalité. C'est un outil absolument indispensable pour nos communes et, bien entendu, nous devons veiller à ce qu'il le reste mais, en même temps, cela ne peut pas se faire dans n'importe quelles conditions.
Couvrir l'ensemble de la carte territoriale, oui. Ce que l'on appelle parfois « rationalisation », regardons-le de près et, bien entendu, c'est dans la volonté commune et non dans le regroupement obligatoire que sera la richesse de nos territoires.
Depuis les élections, nous avons une riche activité, de nombreux chantiers qui sont ouverts, je vais les survoler simplement pour l'essentiel, les énoncer car il me faudrait bien du temps et nous recevrons dans peu le Président de la République.
C'est la conférence sociale, c'est la conférence environnementale, c'est la santé pour tous, c'est la politique de la ville, ce sont les emplois d'avenir, c'est la suppression du conseiller territorial, c’est la refondation de l'école, ce sont les Etats généraux de la démocratie territoriale initiés par le Sénat, et c'est, bien entendu, le vaste volet de la décentralisation. C'est sur celui-ci que je souhaiterais m’appesantir un instant.
Un instant pour m'interroger devant vous mais je suis à peu près sûr que vous avez les mêmes interrogations que moi.
Une nouvelle étape de la décentralisation, c'est quoi ? Moi, j'ai envie de dire : c’est d’abord un autre regard sur les élus locaux ; un changement de ton. On nous a dit, rappelez-vous, il y a un an : « Vous êtes trop nombreux, vous êtes trop coûteux, il faut supprimer et des élus et des niveaux ».
Je rappellerai simplement, parce qu'il y a encore ici ou là des relents de campagne de presse contre les élus locaux, que nous pouvons, les uns et les autres, lire, entendre, voir, dire que … ça suffit. Cela suffit ! Nos finances sont équilibrées, cela a été rappelé tout à l'heure par Jacqueline. Nous, nous avons la règle d’or : aucune collectivité ne peut être en déficit.
Quant à l'endettement, j'entends parler de l'endettement, parfois on dit « colossal », des collectivités locales. Mais attendez, quel endettement colossal ? L'endettement des collectivités locales est le même qu'il y a cinq ans par rapport au produit intérieur brut. Il représente moins de 10 % de l'endettement public dans notre pays alors que nous représentons plus de 70 % des investissements. C'est ça, une bonne gestion !
Et cette bonne gestion, c'est vous, vous qui représentez le terrain, le terroir, chacune de nos communes, c'est vous qui le portez au quotidien, parce que nous savons bien, les uns et les autres, que nous, les maires de France, nous sommes sous le regard de nos concitoyens et que s'il y avait dérive ici ou là, très vite on la détecterait. On nous cite de temps en temps un exemple sur 36 700 communes ? Diantre ! Mais quelle est la profession, la corporation qui sur plus de 36 000 membres ne trouverait pas de temps en temps quelque chose à redire ?
Oui, nous devons être collectivement fiers de ce que nous apportons à notre pays, de la qualité de notre gestion, et je crois que notre congrès doit avoir la force, la vigueur de le dire ici et maintenant.
Alors, c'est vrai qu'il y a un changement de ton et c’est décisif. On nous disait, il y a un an, dans les instances les plus élevées, que nous étions un fardeau, nous, les collectivités locales.
Selon le nouveau président de la République, et je cite ce qu'il nous a dit en conclusion des Etats généraux du Sénat : les collectivités locales – et j'ouvre les guillemets – « ne sont pas une charge, mais un atout pour réussir le redressement de la France ».
Il a ajouté des mots essentiels : « confiance », « dialogue ».
Je vous le dis : j'y crois, je veux y croire.
Mais en même temps, je vois ici ou là des annonces récentes – est-ce que la circulation de l'information n'est pas aussi efficace qu'on le souhaiterait ? – qui viennent faire planer un doute. Je n'en citerai que deux :
On nous annonce moins 2,25 milliards de dotation pour la période 2013-2015.
Vous allez nous dire que c'est beaucoup moins grave que si l'ancienne majorité était restée puisque l'ancien président nous avait annoncé moins 2 milliards par an. Par an ! Mais là, on nous annonce 2,25 milliards de moins sur trois ans. Mais enfin, sans concertation, sans débat, est-ce raisonnable ?
On nous annonce le gel de la contribution économique territoriale. Mais sans débat, sans concertation, est-ce normal ?
Pour que la volonté de dialogue soit avérée, il est indispensable d’en débattre, de rechercher et de trouver ensemble, Etat, collectivités territoriales, des contreparties.
Je crois qu’il faut qu'on passe des paroles aux actes. Cela demande parfois un peu de temps. Du temps, nous n'en avons pas beaucoup. Donc essayons de le faire rapidement.
Pour réussir cette nouvelle étape de la décentralisation, c'est à la fois une confiance à retrouver, des moyens à restaurer et des principes à respecter.
La confiance, le président de la République en a fait – c’est ce qu'il nous a dit lors de la conclusion des Etats généraux – le premier principe de la future loi de décentralisation. Il a raison : sans confiance, rien n'est possible, et nous avons trop souffert, les uns et les autres, de cette absence de confiance. Et donc je me réjouis de cette volonté mais aussi des outils qui sont annoncés pour le mettre en œuvre. C'est le Haut Conseil des territoires. Oui au Haut Conseil des territoires ! Nous l'avons nous-mêmes réclamé il y a bien longtemps. Et en même temps, le Haut Conseil des territoires, ce doit être un lieu de dialogue, bien sûr, mais aussi de négociation, c'est essentiel.
Il faut qu'il y ait un lieu où nous puissions négocier entre les collectivités territoriales et l'Etat. C'est le pacte de confiance, mais il sera issu de ce dialogue, de cette négociation.
C'est aussi, et il faut le dire, le statut de l'élu. Chacun, quelle que soit sa condition économique, sociale, doit pouvoir avoir accès aux fonctions électives. Aujourd'hui, ce n'est pas toujours le cas, et je crois qu'un statut de l’élu, ça doit le permettre.
C'est aussi des moyens à restaurer. Et pour restaurer les moyens, je le dis très tranquillement, il faut corriger la réforme de la taxe professionnelle. Elle a trois défauts majeurs, je ne ferai que les citer, ce serait trop long d'entrer dans le détail.
Mais d’abord c'est le recul des libertés. Aujourd'hui, nous voyons que les régions n'ont plus aucune marge de manœuvre fiscale, que les départements ont vu diviser par presque trois la leur… et qu'en ce qui nous concerne, nous n'avons plus de liberté que pour taxer les familles.
Eh bien, oui, il faut que nous retrouvions de la liberté.
Les transferts sur les ménages, c’est ce que je viens d'évoquer.
Alors qu’antérieurement c'était 40 % sur les entreprises et 60 % sur les ménages, c’est passé brutalement à 77 % sur les ménages. Ce qui veut dire qu'aujourd'hui, quand on veut augmenter l'impôt, comme c'est en plus totalement lié, si nous augmentons l'impôt, nous l'augmentons en moyenne à 77 % sur les ménages et à 23 % seulement sur les entreprises. Et puis c'est le creusement des inégalités entre ceux qui ont vu leurs bases fiscales s'élargir dans la réforme de la taxe professionnelle et ceux qui, au contraire, ont vu se rétrécir ces mêmes bases fiscales.
Je crois que tout le monde a pris conscience, et le président lui-même l’a dit, que sans les maires, sans les élus locaux, il est peu de politiques nationales qui puissent réussir.
Le président de la République l’a dit : sans les collectivités locales, je le cite, « pas de solidarité, pas d'action économique ».
Il aurait pu ajouter « pas de logement social, la transition énergétique, la culture, le sport, les emplois d'avenir, la refondation de l'école.. ».
La refondation de l'école, cela va demander du temps. Nous demandons de la souplesse, nous demandons des moyens. Des moyens financiers, des moyens humains. Qu'on nous laisse le temps de nous adapter. Ce n'est pas en nous mettant un ukase à la prochaine rentrée que nous ferions le meilleur travail. Si certains sont en capacité de le faire, qu'ils le fassent. Les autres, qu'on leur donne une année supplémentaire pour pouvoir s'adapter. Nous sommes tous, enfin je le crois, favorables à cette réforme, elle est fondamentale, mais laissez-nous le temps et les moyens de la mettre en œuvre.
Parce qu’en définitive, nous sommes soumis à un effet de ciseaux. Nous voyons nos charges monter spontanément alors que nos dotations, elles, s’érodent progressivement.
Alors, avec quels moyens pouvons-nous agir ?
J'entends bien. On nous dit, et c’est juste : les collectivités doivent participer à l'effort de redressement. Mais c'est déjà le cas : ces trois dernières années, on a vu le pouvoir d'achat de nos dotations baisser de plus de 10 %. Il n'est pas un maire, j'en suis convaincu, qui ne veuille contribuer au redressement de la France. Mais comment ? Comment être le plus utile à la nation ? C’est ça, la question centrale qui nous est posée aujourd'hui : comment être le plus utile à la nation ?
Est-ce en nous considérant, comme cela a été le cas par le passé, comme une variable d'ajustement financier ou, au contraire, comme je l'espère, à l'avenir, comme un levier essentiel pour lutter contre la crise ? Est-ce en resserrant le garrot mis en place ces cinq dernières années qui étouffe nos finances, bride nos initiatives, ou en nous laissant les nécessaires moyens d'une relance indispensable ?
À cette question décisive le gouvernement doit répondre rapidement et clairement.
Ce serait en effet, me semble-t-il, une grave erreur que le choc de compétitivité pour les entreprises ait pour conséquence une austérité de choc pour les collectivités territoriales.
Qui peut croire que notre pays gagnerait à une baisse des investissements locaux, à une dégradation des services à la population, à une augmentation de la précarité ? Ces dangers, nous le savons, sont déjà présents. Nous espérons très fortement que le Président de la République, qui s'exprimera dans quelques instants, nous apportera des réponses qui lèveront bon nombre des inquiétudes qui sont le lot commun des maires de France.
Au total, les moyens dont nous avons besoin, ils portent un même nom : liberté. Liberté d'action. Autonomie fiscale à retrouver. Stabilité des dotations. Le gel, oui, rien que le gel. Accès aux crédits. Création de l'Agence de financement unanimement demandée par les associations d’élus locaux.
Pour agir efficacement pour moderniser nos territoires, pour répondre aux attentes, nous avons besoin que soient levées les entraves.
Mais il est vrai que la liberté, je reviens à mon premier propos, la liberté postule la confiance.
Il est vrai qu'accorder des libertés exige de l'audace.
L’an passé, en conclusion de mon propos, je réclamais une nouvelle étape de décentralisation et un pacte de confiance.
Le pacte de confiance est en mouvement. La décentralisation, elle va se mettre en œuvre.
Sur ces deux points, nous avons été entendus.
Les engagements présidentiels sont clairs, fondés sur le triptique « confiance, liberté, audace ». Nous attendons maintenant que le contenu de ces réformes, selon la belle expression de René CHAR, « désaltère l'espérance ».
La confiance retrouvée entre l'Etat et les collectivités locales, nous la voulons. Elle est la condition de la mobilisation de toutes les énergies. Elle sera décisive pour relever les défis auxquels est confronté le pays.
Une nouvelle étape de la décentralisation marquée par l'audace, nous l’attendons. Nous la souhaitons.
Les maires ne sont pas des conservateurs, contrairement à l'image qu'on voudrait souvent présenter d'eux et que nous n’acceptons pas. Au contraire, ils veulent porter le progrès avec audace pour être, comme l’a très bien écrit Victor HUGO, « cette force qui va au service de la France ».
Merci. "
Dicours prononcé en séance plénière du 95ème Congrès de l'AMF le mardi 20 novembre 2012.