Dans une interview pour Maire Info dans son édition du 1er octobre 2020, André Laignel revient sur la dernière séance du Comité des Finances Locales (CFL)
À l’issue d’une séance du Comité des finances locales, hier, lors duquel a été examiné le projet de loi de finances pour 2021, son président André Laignel, par ailleurs premier vice-président délégué de l’AMF, donne pour Maire info son sentiment sur ce texte. Et ne mâche pas ses mots : jugé «calamiteux», ce texte devrait être, pour le maire d’Issoudun (Indre), «récrit», notamment parce qu’il «torpille la fiscalité locale». Interview.
Le gouvernement vous a présenté, hier, le budget des collectivités dans le projet de loi de finances pour 2021. Que vous inspire-t-il ?
Le volet « collectivités locales » est calamiteux, en particulier pour le bloc communal. Il porte en lui-même un recul très prononcé des libertés locales et de l’autonomie fiscale des collectivités. Les représentants du CFL ont, quasi unanimement, fait part de leur profonde déception à Jacqueline Gourault et Olivier Dussopt venus présenter les mesures. Il faudrait récrire ce texte.
Pour quelles raisons ?
L’Etat torpille la fiscalité locale. Il poursuit la suppression de la taxe d’habitation. Une réforme néfaste : en cette période de crise, favoriser les 20 % de foyers les plus aisés n’apparaît pas comme une priorité. Les 30 % de foyers qui, eux, ne payaient pas de TH, ne bénéficieront d’aucun avantage. Cette réforme accroît donc les inégalités et l’Etat ne compense pas à l’euro près le manque à gagner pour les collectivités. Comme cela ne suffit pas, le gouvernement ampute l’an prochain la fiscalité économique locale en supprimant la part régionale de la CVAE - pour plus de 7 milliards d’euros -, et en réduisant de moitié les impôts fonciers des établissements industriels – TFPB et CFE - de 3,3 milliards d’euros ! Enfin, la taxe sur la consommation finale d’électricité est nationalisée : les communes et EPCI ne pourront plus délibérer sur le montant de son produit car l’Etat imposera les tarifs.
L’Etat affirme qu’il compensera de manière « dynamique et territorialisée » la baisse des impôts de production…
Il n’y aura aucune compensation intégrale. Pour les communes et EPCI, le gouvernement prévoit d’intégrer, dans son soi-disant dispositif de neutralisation, la dynamique des bases dans chaque collectivité. Or, le PLF pour 2021 modifie les mécanismes d’évolution des bases des locaux industriels en les rapprochant de ceux appliqués aux locaux professionnels, entraînant leur moindre revalorisation. La compensation des pertes de CFE et de taxe foncière sera donc calculée sur des bases minorées, d’une part, et, de l’autre, sans tenir compte des taux votés par les communes et les EPCI puisque ces derniers seront gelés à leur valeur 2020. C’est un recul de l’autonomie fiscale locale.
L’évolution des concours financiers de l’Etat vous satisfait-elle ?
Non. Le gel de la dotation globale de fonctionnement (DGF), qui perdure depuis 2017, est une longue stagnation qui se traduira, en fait, par une baisse de dotation pour 18 000 à 20 000 communes et EPCI. Car, comme les années passées, l’Etat ne mettra pas un centime dans la péréquation qui sera financée exclusivement par un prélèvement sur la DGF… Les dotations de péréquation augmentent de 237 millions d’euros l’an prochain, dont 90 millions pour la dotation de solidarité urbaine (DSU) et 90 millions pour la dotation de solidarité rurale (DSR). Et, comme le CFL l’avait demandé, le rattrapage de la péréquation se poursuit en faveur des DOM à hauteur de 17 millions d’euros l’an prochain. Tout ceci sera financé par les collectivités. Il n’y a plus de péréquation verticale, plus de solidarité nationale !
L’État a-t-il annoncé devant le CFL un nouveau soutien aux collectivités compensant le coût de la crise sanitaire ?
Non, pas un centime en 2021. La crise du Covid-19 coûtera 8 milliards d’euros aux collectivités en 2020 et 2021, selon les estimations de l’AMF confirmées par la Cour des comptes. Mais elles devront se contenter du « filet de sécurité » voté en juillet dans le 3è budget rectificatif pour 2020. Soit 750 millions d’euros pour les seules pertes fiscales et domaniales… L’Etat ne compense ni les pertes tarifaires des collectivités, ni les dépenses générées par l’épidémie. Devant le CFL, les ministres ont bien essayé d’additionner, en les mélangeant allègrement, les crédits territorialisés de multiples programmes en cours avec les crédits spécifiques destinés aux collectivités pour affirmer que l’Etat fait des efforts considérables… Cela n’a pas fait illusion.
Que demandez-vous au gouvernement ?
De réécrire les dispositions du PLF 2021 concernant les collectivités. Ce budget est injuste, décevant. Il mettra beaucoup de collectivités dans l’impossibilité de participer à la relance, faute de moyens pour investir, alors qu’elles sont un levier essentiel de la croissance. Mais je ne me fais pas d’illusion : le gouvernement ne nous a fixé aucune clause de revoyure. Il poursuit la recentralisation par la nationalisation de la fiscalité locale qu’il remplace par des dotations ou des fractions d’impôts nationaux dont il conserve l’entière maîtrise. Cela augure très mal des échanges à venir avec lui.
Propos recueillis par Xavier Brivet