Tribune publiée dans Libération le 21 septembre 2017.
Ceta : le gouvernement sacrifie la santé et le climat aux intérêts commerciaux
Le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada entre en application provisoire ce jeudi dans sa quasi-totalité. Un collectif de maires appelle Emmanuel Macron à refuser cette application provisoire, au nom du respect de l’accord de Paris sur le climat.
Ceta : le gouvernement sacrifie la santé et le climat aux intérêts commerciaux
C’est désormais officiel : l’accord de commerce et d’investissement entre l’Union européenne (UE) et le Canada (Ceta) représente un danger pour le climat et la santé. La commission d’évaluation mise en place avant l’été par le gouvernement et chargée d’examiner les risques sanitaires et environnementaux liés au Ceta confirme les craintes exprimées depuis de long mois par des ONG, des syndicats, des associations de consommateurs, des agriculteurs, des PME, des magistrats et des élus locaux. Rien qu’en France, plus de 800 collectivités locales ont ainsi adopté des délibérations pour exprimer leurs inquiétudes suscitées par des accords de commerce transatlantiques en préparation, dont l’impact sans précédent se fera sentir jusque dans nos collectivités locales. Elles étaient réunies avec d’autres villes européennes, en février à Grenoble à l’occasion du deuxième contre-sommet des villes hors Ceta.
Le Ceta est incompatible avec les engagements pris par la France dans l’accord de Paris pour lutter contre le changement climatique. Il devrait contribuer à augmenter les émissions de gaz à effet de serre, favoriser les investissements dans les industries polluantes telles que les sables bitumineux et il pourrait affaiblir la capacité des Etats et des territoires de conduire la nécessaire transition écologique et sociale. Le rapport d’évaluation alerte sur les «risques d’ingérence des intérêts privés (industries canadienne ou européenne) dans les processus réglementaires des parties». Il montre également que le tribunal d’arbitrage d’investissement du Ceta permettrait aux investisseurs canadiens de contester des politiques publiques notamment en matière de lutte contre le changement climatique : «Rien ne permet de garantir dans le traité que les futures dispositions environnementales nécessaires à la poursuite des objectifs de la France en matière de transition énergétique et de développement durable ne seront pas attaquées devant cette juridiction.» Ce risque pèse sur les mesures prises non seulement par l’UE et les Etats mais aussi par les collectivités locales : «La prise en considération, par une municipalité, d’un nouveau facteur d’appréciation des risques environnementaux d’un projet pourrait être qualifiée d’injuste et d’inéquitable si l’investisseur n’a pas été au préalable informé que son activité pouvait être évaluée au regard de ce facteur.»
Principe de précaution
Dans le domaine de la santé, le rapport est encore plus alarmant avec le risque d’un abaissement des règles existantes, faute notamment de garantie sur le respect du principe de précaution : «Il n’est pas possible d’écarter définitivement le risque d’une remise en cause des bases réglementaires de l’UE en matière de sécurité sanitaire de l’alimentation, de santé animale, de bien-être animal, de protection végétale et de propriété intellectuelle du vivant.»
Si certaines améliorations ont été apportées à la marge dans cet accord de commerce par rapport aux précédents, le Ceta reste à des années-lumière des instruments dont nous aurions besoin pour répondre aux exigences climatiques, démocratiques et sociales de notre temps. La société est prête, la puissance publique prend un dangereux retard.
Après le feu vert donné par le Conseil et le Parlement européens, le Ceta doit faire l’objet dès ce jeudi d’une application «provisoire» en attendant les ratifications nationales. Il y a donc urgence pour exiger la réouverture des négociations sur le texte. Emmanuel Macron s’y était engagé pendant la campagne en fonction des conclusions de la commission d’évaluation. Le gouvernement prétend aujourd’hui qu’il ne peut plus rien faire : nous l’exhortons à respecter cette promesse en refusant l’application provisoire du Ceta, au nom notamment du respect de l’accord de Paris sur le climat.
Les graves lacunes du Ceta en matière de protection de l’environnement et des citoyens ne représentent pas une simple occasion manquée : s’il est définitivement ratifié en l’état, cet accord limitera dangereusement et pendant longtemps la capacité des Etats et des collectivités locales de mettre en œuvre des politiques de développement local à la hauteur des défis sociaux et environnementaux de notre époque.
Signataires :
Eric Piolle, maire de Grenoble,
Patrice Vergriete, maire de Dunkerque,
Carine Petit, maire du XIVe arrondissement de Paris,
Damien Carême, maire de Grande-Synthe,
Jean-François Debat, maire de Bourg-en-Bresse,
Nathalie Perrin-Gilbert, maire du 1er arrondissement de Lyon,
Marc Gricourt, maire de Blois,
Sylvine Thomassin, maire de Bondy,
Mohamed Gnabaly, maire de l’Ile-Saint-Denis,
Azzédine Taïbi, maire de Stains,
Jacques Boutault, maire du IIe arrondissement de Paris,
Bertrand Affilé, maire de Saint-Herblain,
Christophe Lubac, maire de Ramonville,
Antoine Homé, maire de Wittenheim,
Frédéric Vigouroux, maire de Miramas,
Olivier Thomas, maire de Marcoussis,
Pierre-Alain Roiron, maire de Langeais,
Florian Lecoultre, maire de Nouzonville,
André Laignel, maire d’Issoudun.
Tribune publiée dans les colonnes de Libération en date du 21 septembre 2017.