Le mouvement des élus est sans précédent

André Laignel, Premier vice-Président délégué de l'AMF, dans les colonnes de Maires de France d'octobre 2015, invite à poursuivre le mouvement de mobilisation des élus et des citoyens pour faire "prévaloir l'intérêt général dans le cadre d'un dialogue constructif avec l'Etat".

 

Quel bilan tirez-vous de la mobilisation nationale organisée le 19 septembre par l’AMF contre la baisse des dotations ?

La totalité des départements a été touchée par ce mouvement de mobilisation. Elle a pris différentes formes : cela a pu être de simples déclarations, des rassemblements, des stands sur les marchées ou dans les hôtels de ville, des conseils municipaux extraordinaires… La liste des initiatives est très longue. Ce mouvement a été massivement suivi. Un tel mouvement dans la diversité des communes représentées est sans précédent. Il y avait de toutes petites communes et des très grandes, des communes de tout bord politique, avec une même volonté de défendre l’institution communale dans son ensemble. Cela reflète bien un état d’inquiétude. Toutes les communes qui ont manifesté ne sont pas forcément en difficulté financière, loin de là, mais elles anticipent des évolutions et des difficultés à venir. Elles voient à la fois les problèmes financiers mais aussi les risques de passer de l’intercommunalité à la supra-communalité, c’est à dire à la dilution de la commune. Et c’est cette inquiétude qui a généré la force du mouvement.

 

Êtes-vous satisfait de la mobilisation des citoyens ? Ils paraissaient peu nombreux dans certaines villes.

Je crains que, dans un certain nombre d’endroits, la force de l’habitude l’ait emporté sur des formes nouvelles. Tous les maires ne se sont pas forcément tournés vers les citoyens, contrairement à ce que l’on souhaitait. Mais là où il y a eu une démarche vers la population, il y a eu une très belle réponse de sa part. Dans ma ville, j’avais fait installer samedi des drapeaux tricolores sur le marché et, entre 10 et 12 h, nous avons recueilli plus de 450 signatures. Il n’y a certainement pas autant de communes que nous aurions souhaité à avoir fait cette démarche vers les citoyens. C’est la raison pour laquelle nous avons écrit à tous les maires de France pour les remercier mais aussi pour leur demander de continuer de faire voter, pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, la motion de soutien à notre démarche contre la baisse des dotations. Nous sommes arrivés au chiffre de 18 000 délibérations mais je suis convaincu que l’on peut atteindre celui de 25 000 sans problème. Nous leur demandons d’autre part de mettre des recueils dans les mairies pour que les citoyens puissent continuer à se manifester en faveur de leur commune en signant la pétition. Notre action continue jusqu’au congrès. Le 19 septembre n’était pas la fin d’une période, c’est l’ouverture d’autre chose.

 

Pensez-vous pouvoir faire plier le gouvernement sur vos deux principales demandes : la révision du volume de la baisse des dotations et son calendrier ?

Il ne s’agit pas de faire plier. Il s’agit de dialoguer pour permettre aux communes de répondre à la fois aux attentes des citoyens mais aussi à la modernisation de nos territoires. Nous voulons que l’intérêt général prévale dans le cadre d’un dialogue constructif avec l’État. Le rythme et le niveau peuvent être maintenus s’il y a des compensations dans d’autres domaines. Nous n’en faisons pas une épreuve de force et nous ne mettons pas de clause absolue ou résolutoire.

 

Et quelles pourraient être ces compensations ?

Cela peut être la compensation des rythmes scolaires qui est très insuffisante, cela peut être la rétrocession des frais de gestion que l’État perçoit aujourd’hui sur nos impôts locaux… Nous avons fait toute une série de propositions et nous attendons la réponse qui va y être apportée. On ne se bat pas sur le totem des 11 milliards. Il faut redonner des moyens et du souffle à nos communes et à leurs outils intercommunaux sur la base de nos propositions. C’est l’intérêt national. Les communes sont un puissant levier potentiel de relance de l’économie et particulièrement de l’investissement dans notre pays. Nous ne sommes pas un fardeau. Que l’État veuille bien nous considérer comme des acteurs de la reprise économique et je suis convaincu que l’on trouvera les possibilités d’entente avec lui.

 

Avez-vous chiffré les conséquences de la baisse des dotations pour votre commune et votre communauté de communes ?

Pour 2016, cette baisse sera de 500 000 à 600 000 euros pour la commune et sensiblement le même montant pour l’intercommunalité sur un budget total d’à peu près 16 millions dans les deux cas. Mais attention aux additions qui ne sont pas toujours forcément porteuses de vérité. Il faut plutôt raisonner à partir des ressources disponibles. Dans le budget total, il y a les recettes dont certaines peuvent provenir de services déficitaires. Par exemple, les recettes provenant de mon ensemble de loisirs sportifs apparaissent comme une richesse mais elles ne couvrent même pas la moitié du coût. Entre 500 000 et 600 000 euros sur la commune représente autour de 12 points d’impôt. Je bouclerai mon budget 2016 avec une baisse de 2,5 % pour l’ensemble des dépenses de fonctionnement, dont moins 5 % pour les subventions aux associations, et une baisse de 11 à 12 % de l’investissement. Et nous sommes une commune en bonne santé. Les difficultés ont commencé en 2010 avec la suppression brutale de la taxe professionnelle. Depuis, nous faisons des économies. Si on restait sur les mêmes bases pour le budget 2017, je ne saurai pas faire sans, soit affaiblir des services, soit augmenter les impôts, voire une combinaison des deux.

 

Le fonds d’un milliard d’euros inscrit dans le projet de loi de finances pour 2016 pour soutenir l’investissement local ne va-t-il pas quand même être utile notamment aux territoires ruraux ?

Il faut rappeler que l’annonce de ce fonds a été faite la première fois lors d’une rencontre entre l’AMF et le Premier ministre en mai dernier. Ce n’est donc pas une nouveauté. Mais on ne sait toujours pas très précisément aujourd’hui, cela sera sûrement dans la loi de finances, d’où viendra l’argent ni quelles seront les conditions de sa distribution. La seule chose « nouvelle » connue depuis le printemps est que la moitié de la somme serait consacrée aux espaces ruraux et aux communes de moins de 50 000 habitants. On se réjouit bien sûr de cette aide en investissement mais si l’on ne donne pas d’air en fonctionnement, seules collectivités ayant encore des capacités d’autofinancement auront la possibilité d’avoir recours à ces nouvelles dispositions. De plus en plus de communes ou d’intercommunalités vont être en autofinancement net très faible, voire nul et pour ces dernières obtenir 30 % de subvention ne servira à rien car elles ne pourront pas trouver les 70 % restants. Pour relancer l’investissement, il faut agir sur l’investissement mais aussi sur le fonctionnement, sinon seulement seules les collectivités riches pourront en profiter.

 

Le gouvernement a annoncé il y a peu que la réforme de la DGF serait intégrée par voie d’amendement dans le PLF lors de sa discussion au Parlement. Quelle est votre réaction ?

Tant que je n’ai pas le projet de loi de finances, c’est difficile à dire. Je rappelle la position de toutes les associations du bloc communal, position qu’elles ont réitérée mi-septembre à l’AMF : il faut que la réforme en profondeur de la DGF fasse l’objet de travaux supplémentaires débouchant sur d’une loi spécifique, et que les quelques éléments qui peuvent être intégrés dans la loi de finance le soient d’ores et déjà. Cette position a également été adoptée au Comité des finances locales à l’unanimité moins deux abstentions.

 

La loi NOTRe a à la fois augmenté le seuil minimum de population des intercommunalités et maintenu les délais pour la mise en place des schémas départementaux de l’intercommunalité. Vous attende-vous à de nombreuses difficultés, voire à des blocages ?

La loi NOTRe, qui a fait l’objet d’un accord en commission mixte paritaire au Parlement, est le résultat d’un compromis. Dans tout compromis, il y a des points positifs et d’autres qui ne le sont pas. Nous avons obtenu un certain nombre de choses : l’abandon de l’élection des conseillers communautaires au niveau intercommunal – ce qui aurait été un affaiblissement, pour ne pas dire une quasi disparition, du niveau communal –, le maintien de la détermination de l’intérêt communautaire, la non remise en cause des règles de passage au PLU intercommunal. Mais nous n’avons pas tout obtenu : nous ne voulions pas de nouveau seuil pour les intercommunalités ; même s’il a été réduit de 20 000 à 15 000 et est atténué par des exemptions, il y a un seuil. Et la loi impose des transferts obligatoires de compétences avec lesquels nous ne sommes pas d’accord : le tourisme, un élément important de l’identité communale, l’eau et l’assainissement, car les nappes phréatiques n’épousent pas les frontière administratives. Ce texte de compromis ne nous satisfait pas.

Sur le terrain, de nombreux préfets font du zèle, poussant vers le seuil de 15 000 habitants même si les exemptions pourraient jouer. Et puis il y a les délais : si l’on veut faire des choses sérieuses (des transferts de compétences, revoir les pactes financiers, etc.), les délais sont très contrains. Par conséquent, il y a une vraie difficulté dans beaucoup d’endroits.

 

Cette loi organise également le transfert obligatoire de nouvelles compétences vers l’intercommunalité. Le fait que les délais de ces transferts aient été un peu repoussés vous laissent-ils espérer que ces transferts pourraient être remis en question avant d’être mis en œuvre ?

Fixer des déchéances lointaines, c’est aussi le moyen d’endormir tout le monde. Aujourd'hui, la loi impose le transfert, peu importe la date. Nous disons donc qu’il faut revoir cette partie de la loi.

 

Certains de ces transferts sont-ils souhaitables ?

Le transfert de la compétence "aires d’accueil des gens du voyage" n’est pas contesté. Pour les autres, ces transferts existent déjà dans de nombreuses intercommunalités. Lorsque c’est à l’initiative des élus, qui considèrent que cela correspond à l’intérêt de leur territoire et de ses habitants, c’est parfait ! Des intercommunalités ont intégré le tourisme dans leurs compétences communautaires. Ce qui n’est pas acceptable, c’est que l’on veuille traiter tout le monde de la même façon. Dans une intercommunalité, il peut y avoir plusieurs pôles touristiques complètement différents. Dans mon intercommunalité, par exemple, il y a un pôle touristique autour de la vigne et du vin, tandis que la ville d’Issoudun est riche de monuments emblématiques : ce n’est pas du tout le même type de tourisme. De plus, si on veut nous forcer à transférer le tourisme à l’intercommunalité, mon office du tourisme deviendra associatif et échappera à la loi. Dans le domaine de l’eau et l’assainissement, toujours à Issoudun, j’ai 13 500 habitants mais une station d’épuration qui traite 60 000 équivalent-habitants car la commune accueille des sites industriels. Quel rapport cela a-t-il avec l’ensemble des autres communes de l’intercommunalité qui n’ont que l’assainissement individuel ?

 

Le 98e congrès des maires et présidents de communautés comprend un débat sur « la commune au XXIe siècle », et l’AMF a créé un comité de réflexion sur ce thème. Quelle est votre vision personnelle de ce sujet ?

La commune doit rester le lieu de la proximité et la cellule démocratique de base. L’intercommunalité n’est plus remise en question par personne, mais en faire une supra-communalité, diluer la commune dans l’intercommunalité, ce serait mortel pour ce lien de proximité, pour ce socle démocratique. Quand la démocratie est fragilisée, comme elle l’est actuellement suite à une évolution sur plusieurs décennies, tout ce qui éloigne le pouvoir des citoyens accentue cette fragilité.

 

De nombreux maires se sont portés volontaires pour accueillir des migrants. Quel doit être, selon vous, le rôle de la commune dans cet accueil ?

C’est très variable selon les communes : grande ville, petite ville ou commune rurale n’ont pas les mêmes possibilités. C’est pour cela qu’on s’adresse aux maires, et pas aux intercommunalités, car ce sont eux qui peuvent le mieux savoir s’il y a des bâtiments communaux inutilisés ou un ancien bureau de poste qui peut être transformé en logements.

 

Pour la 2e année consécutive, l’AMF consacre un débat de son congrès au thème du climat. Pourquoi ?

C’est un sujet essentiel pour l’avenir de la planète. Plus personne ne conteste qu’il y a un problème de changement climatique. On peut discuter des variations cycliques du climat, mais l’activité de l’homme a évolué sans commune mesure depuis un siècle, et c’est cela l’élément nouveau aujourd'hui : en une seule année actuellement, il y a plus d’activité humaine que pendant des millénaires avant. On doit maîtriser cette activité, pas par la récession ou le retour en arrière mais par la capacité à réguler, à choisir les énergies les moins nocives, à mettre en œuvre tous les moyens scientifiques qui peuvent palier ce que l’activité humaine peut avoir de négatif.

 

Quelle est la marge de manœuvre des maires dans ce domaine ?

Nous voudrions tous faire plus en termes de transition énergétique, d’énergies renouvelables… Mais nous manquons parfois de moyens. Dans ma communauté de communes, nous avons l’autonomie énergétique avec des énergies renouvelables. C’est un enjeu mondial sur lequel il faut agir localement. Nous sommes donc dans notre rôle. Le rôle de l’AMF est de porter l’intérêt le plus général au plus près du citoyen. Débattre de ce sujet au congrès en est une belle illustration.

 

Propos recueillis par Antoine Blouet et Christine Nemarq