Justice sociale, égalité des territoires : André Laignel signataire de la lettre ouverte au Président de la République

 

Nous sommes plus de 117 maires, Présidents d'agglomérations et associations à alerter le chef de l'État sur la hausse de la pauvreté en France. Dans un courrier adressé samedi 14 novembre au chef de l'État et intitulé "lettre ouverte au Président de la République pour l’égalité républicaine de nos quartiers prioritaires", ce collectif de personnes représentant près de 10 millions d’habitants signe "un appel au secours". J'ai souhaité être signataire de cet appel.

 

 

Lettre ouverte au Président de la République pour l’égalité républicaine de nos quartiers prioritaires

 

 

Il y a trois ans, vous annonciez à Tourcoing (Nord) un grand « plan de mobilisation nationale » pour les quartiers populaires. Votre discours était alors très attendu ; un mois plus tôt, un millier d’élus locaux et d’acteurs issus du monde associatif, de l’entreprise et du syndicalisme s’étaient rassemblés à Grigny pour protester contre la suppression des contrats aidés et la baisse des dotations destinées aux villes pauvres.

Au terme de cette prise de parole forte, vous aviez demandé à Jean-Louis Borloo de « remettre les gants pour aider à la bataille » et mobilisé près de 200 bénévoles (élus, associatifs, entrepreneurs, syndicalistes, universitaires, artistes, citoyens…) autour de l’élaboration d’un « plan de marche ».

De cette co-construction, unique dans l’histoire de la politique de la ville, était sorti le rapport « Vivre ensemble, vivre en grand la République. Pour une réconciliation nationale » ; 19 programmes et 48 mesures « simples, robustes, évaluables et complémentaires » destinés à recréer une cohésion urbaine, sociale et républicaine.

Alors que ce plan avait vocation à être mis en œuvre de façon globale dans les 1514 quartiers prioritaires de Métropole et d’Outre-Mer, seules 20 mesures sur 48 ont pu être engagées (et seulement 4 avec le portage de l’Etat !).

Vous avez pourtant affirmé le 2 octobre dernier que 70% du plan était devenu réalité (votre ministre de la Ville ayant même avancé récemment le chiffre de 85%). Nous sommes bien loin du compte…

 

Ce rapport anticipait en grande partie la situation que nous connaissons aujourd’hui : « Notre pays est à un carrefour : assumer le repli sur soi et l’affaiblissement, avec la spirale de l’incompréhension, de la rupture et de l’affrontement, laissant les ennemis de la République occuper le terrain, ou décider que notre grande Nation est riche du potentiel de cette jeunesse et forte des qualités de sa diversité. (…) A défaut, fermenteront loin des yeux, le recroquevillement identitaire et le repli communautaire si trop de concitoyens ont le sentiment de ne pas participer au rêve républicain ».

 

Le virus du décrochage républicain

 

Trois ans après le discours de Tourcoing, l’ambition que vous aviez formulé de « changer le visage de nos quartiers (…) d’ici la fin du quinquennat » a fait long feu.

 

Certes, la crise sanitaire du Covid-19 et les attentats terroristes de ces dernières semaines ont bousculé nos vies, et face à ce nouveau contexte, le sentiment qui domine est celui de non-assistance à territoires en danger.

 

En dépit des alertes, les villes et quartiers populaires restent un angle mort du plan de relance : aucune mesure ambitieuse n’a été prise pour répondre à la détresse sociale et économique qui frappe nos communes. Pire, la surmortalité Covid y est malheureusement démontrée (selon l’étude menée par Guy Burgel de l’université de Paris-Nanterre). La précarité du travail s’accélère alors même que les habitants ont été en première ligne (personnels soignants, caissières, logistique, déchets...)

 

Cette inertie se paie cash, et se développe aujourd’hui dans nos quartiers et même au-delà un autre virus, celui du décrochage à la République.

 

Il serait injuste de pointer du doigt l’ensemble de nos concitoyens qui, comme tout un chacun, se battent quotidiennement pour travailler, se loger dignement, élever leurs enfants et se construire un avenir. Mais de la même manière, Monsieur le Président, il serait irresponsable de nier que la haine et le repli sur soi prospèrent à mesure que la rupture sociale et la pauvreté augmentent.  

 

Partout sur le terrain, les signaux sont au rouge :

 

  • Les demandes d’aide alimentaire d’urgence explosent : +28% à Hérouville-Saint-Clair (Calvados), +21% à Allonnes (Sarthe). A Mantes-la Ville (Yvelines), le nombre de tickets alimentaires distribués par le Centre communal d’Action Sociale a doublé entre 2019 et 2020 tandis qu’à Roubaix, l’équivalent d’une année d’aide alimentaire a été distribué en 3 mois ! Enfin, dans certains territoires, les épiceries solidaires ont vu leur fréquentation croître de 100%...

 

  • La demande de RSA progresse massivement : entre octobre 2019 et octobre 2020, le nombre de bénéficiaires a augmenté de 17% dans la Sarthe et de 17,5% dans les Yvelines. Depuis le début de l’année 2020, ce chiffre a augmenté de plus de 20% à Grigny (Essonne) et Hérouville-Saint-Clair (Calvados), son augmentation est de 7% à La Courneuve. A Arras (Pas-de-Calais), il a même été multiplié par 2 !

 

  • Le chômage augmente : +13% à Chanteloup-les-Vignes et Mantes-la-Jolie (Yvelines), +8% à Strasbourg (Bas-Rhin), +11,3% à Allonnes (Sarthe). A Reims, le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie B est passé du simple au double !

 

  • Les inscriptions dans les associations culturelles et sportives ont massivement diminué : -28% dans les associations culturelles de Poissy (Yvelines), -23% dans les clubs sportifs d’Allonnes (Sarthe), -25% pour les associations de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), -43% pour celles d’Arras, -50% à Grigny.

 

 

La confiance est l’huile du moteur républicain

 

Cette situation n’est pas une fatalité, Monsieur le Président. Notre pays a traversé de très nombreuses crises dans son Histoire ; nous savons par expérience que le désespoir et la division sont nos pires ennemis. Pour leur faire barrage, renouons avec la confiance et le sens du collectif !

 

Vous pouvez agir en créant une dynamique unique et nouvelle en vous appuyant sur le savoir-faire des élus et des acteurs locaux. Habitants, associatifs, élus, entrepreneurs, artistes, éducateurs sportifs, enseignants, bénévoles : ce sont souvent eux qui détiennent les clés de la réussite de nos quartiers. Le dernier rapport de l’institut Montaigne « Les Quartiers pauvres ont un avenir » rédigé par Hakim El Karaoui montre à quel point les quartiers les plus pauvres ont beaucoup moins de moyens qu’ailleurs (police, justice, éducation…) et malgré cela leur dynamisme est considérable, (la seine saint Denis est un des départements ou l’on crée le plus d’emploi en France).  

 

À l’heure où nos villes sont sous pression, où nos habitants se précarisent, où nos associations s’éteignent, où les idéologies mortifères se développent, où les difficultés débordent, faisons le pari ensemble d’une nouvelle confiance dans nos territoires pour faire gagner la République !

Mais cette confiance n’est rien si elle ne se traduit pas en actes, en moyens conséquents pour stopper l’hémorragie à laquelle nous devons faire face.

 

Nous vous proposons sans plus attendre la mise en œuvre de mesures immédiatement opérationnelles :

 

 

  • Création d’un fond de soutien à la création de maisons médicales et de centres de santé dans les villes pauvres ou en voie de paupérisation. Celui-ci sera doté, dès son lancement, de 200 millions d’euros.
  • Généralisation des clauses d’insertion (soit portées par les entreprises elles-mêmes soit déléguées à un acteur de l’économie sociale et solidaire) dans tous les marchés publics et particulièrement dans le cadre de Paris 2024.
  • Création de 7000 postes aidés « médiation et tranquillité publique » (ASVP, médiateurs) dans les quartiers prioritaires.
  • Développement d’un plan national de lutte contre l’illettrisme et l’illectronisme dont l’objectif sera de diviser par deux le nombre de personnes en situation d’illettrisme d’ici 2025.
  • Lancement de 200 plateformes de mobilité dans les villes les plus enclavées (territoires urbains et ruraux).
  • Création d’une cour d’équité territoriale vérifiant la mise en œuvre des moyens de rééquilibrage des politiques publiques sur les territoires carencés et pouvant   sanctionner l’inaction des administrations.
  • Renforcement des programmes d’éducation aux médias et au numérique dans le secondaire (collèges et lycées).
  • Mise en place d’un fond d’urgence pour les associations oeuvrant pour la jeunesse et les publics en difficulté. Co-piloté par les villes, il sera doté d’une enveloppe annuelle de 100 millions d’euros.

 

Afin de suivre ces mesures, de les encadrer et de ne pas laisser sommeiller, et de s’assurer que les mesure déjà en place sont bien appliquées (loi sur le peuplement), nous vous demandons de créer un Conseil National des Solutions qui sera composés d’élus, d’associatifs, de fonctionnaires, d’entrepreneurs et d’universitaires tous bénévoles et nommés pour un mandat maximum de 2 ans nous renouvelable et dont la mission sera de favoriser l’essaimage des solutions qui fonctionnent.

Dans ce cadre nous souhaitons la mise en place de collectifs pour l’emploi et la formation dans les 100 villes les plus pauvres de France, regroupant les entreprises, les syndicats, les associations et les élus.

Installation d’un fond de 75 millions d’euros pour aider l’amorçage des projets ce qui représente 0,5% de la dotation du plan d’investissement des compétences.

 

Pour renforcer la confiance nécessaire entre tous les Français et parce qu’il est trop souvent dit que l’argent distribué dans les quartiers l’est fait en pure perte, nous nous engageons à ce que le Conseil national des Solutions rende compte chaque trimestre de ses actions et de ses résultats. De plus chaque mois le Conseil National des Solutions mettra en avant une thématique (emploi, santé, mobilité …) au travers de ce que les derniers mois nous ont appris à faire des visios conférences qui regrouperont acteurs, élus et bénéficiaires pour partager les bonnes pratiques et en favoriser leur essaimage.

 

 

Monsieur le Président, nous sommes prêts à nous mobiliser, à agir et à travailler dès demain pour la mise en place de ces actions, les 5,6 millions d’habitants de nos quartiers revendiquent leur souhait de faire partie intégrante de la République.

 

 

Liste des 117 premiers signataires :