Intervention aux rencontres des villes et territoires urbains

J'intervenais au nom de l'Association des Maires de France le 7 novembre 2016 pour l'ouverture des RENCONTRES DES VILLES et TERRITOIRES URBAINS à Lyon à l'inviation de Gérard Collomb, Sénateur - Maire de Lyon.

 

" Monsieur le Sénateur-Maire, Cher Gérard,

Mesdames, Messieurs,

 

C’est pour moi un réel plaisir d’être parmi vous aujourd’hui pour représenter l’Association des Maires de France  et des présidents d’intercommunalité lors de ces premières Rencontres des villes et territoires urbains.

Il est naturellement très important pour l’AMF d’être partenaire d’un tel événement dont l’objectif est de mieux appréhender le fait métropolitain, car notre association est la seule à représenter les communes et intercommunalités dans toute leur diversité. Nos adhérents vont de la mégalopole de taille européenne voire mondiale, comme ici à Lyon, jusqu’à la plus petite commune comptant une poignée d’habitants.

Représentant ce large éventail des 35885 communes de France et de la grande majorité de leurs intercommunalités, nous sommes en mesure, peut-être plus que d’autres, de saisir ce qui les différencie, mais surtout ce les qui unit et les rend irremplaçables. Je suis d’ailleurs convaincu que le lien de confiance entre le Citoyen et sa commune, mais aussi la relation si particulière qu’entretien un maire avec sa population, ne dépendent absolument pas de la taille de sa ville.

 

Revenons aux « Métropoles et territoires », sujet de notre rencontre de ce jour.

Le constat est partagé par tous : le fait métropolitain est une réalité objective, avérée. Plus précisément ce qui le caractérise, à savoir le mouvement de concentration d’activités à haute valeur ajoutée, de populations qualifiées et d’emplois bien rémunérés, dans des aires urbaines toujours plus denses, est un processus en marche depuis désormais plusieurs décennies. L’émergence de ces métropoles, ainsi définies, correspond au développement d’une économie mondialisée, principalement axée sur les services, la recherche, l’innovation et fonctionnant en réseau.

Ce mouvement de concentration, de métropolisation, s’est à l’évidence renforcé toutes ces dernières années amenant les responsables politiques à en mieux prendre conscience, à l’accompagner, voire à le favoriser. Le dernier exemple en date étant la loi MAPTAM de 2014, dont l’étude d’impact précisait qu’elle avait pour objectif « de faire face à la concurrence des autres métropoles en Europe et dans le monde, tout en contribuant à un développement équilibré du territoire national dans son ensemble ».

Dans le même temps, un autre constat s’est imposé, enrichi par la réflexion des géographes, des aménageurs, des élus, faisant l’objet de nombreuses publications : le développement des métropoles porte en lui un risque majeur de développement des inégalités.

Il s’agit, d’une part, d’inégalités en leur sein même : la puissance d’attraction des hauts revenus et son corollaire sur le cout de la vie accentue le décrochage entre les populations aisées et les ménages modestes qui se côtoient au sein  des grands ensembles urbains. Nous assistons alors, le plus souvent, à une juxtaposition de populations appartenant aux deux extrémités de l’échelle sociale.

D’autre part, ces inégalités tendent également à se creuser entre la métropole elle-même et sa périphérie, avec d’ailleurs des différences en termes de concentration de richesses qui sont proportionnelles à la distance qui éloigne le cœur urbain de ses territoires environnants. De ce fait, comme l’a écrit récemment France stratégie dans un rapport, « La France des petites villes et des villages ressent le développement des métropoles comme une menace ». Le Citoyen n’appartenant pas à une aire urbaine puissante, a également une perception forte de ce qu’il ressent comme un décrochage, une relégation, voire un abandon.

La même étude de France stratégie, parue fin octobre, sur les failles qui traversent notre société, est en ce sens tout à fait éclairante : il y d’un côté la réalité des inégalités, quantifiable, mesurable, réductible à des statistiques et de l’autre, il y a la perception qu’il en est faite par la population.

Qu’importe alors que le ressenti l’emporte sur le réel. Ce serait une erreur grave de ne pas prendre pleinement en compte ces inquiétudes, ce serait une faute de ne pas y répondre.

La question qui se présente à nous aujourd’hui est donc claire : comment répondre au double défi qui consiste à accompagner le développement de métropoles, utiles à notre pays, à sa compétitivité, à son développement, tout en luttant efficacement contre les inégalités territoriales et sociales que ce processus engendre ?

Je suis ici pour représenter l’Association des maires de France et présidents d’intercommunalité et pour porter de ce fait la voix des élus. Il me revient donc d’essayer de répondre à la question, non pas comme un technicien du Mécano territorial – il y en a déjà bien assez dans les cabinets ministériels et les administrations centrales et même parfois locales ! – mais bien comme un responsable politique.

Tout d’abord, et parce que la question est à nouveau présente dans le débat actuel, je veux rappeler qu’elle était la position de l’AMF lors de l’examen de la loi MAPTAM sur la création de métropoles : nous avons toujours soutenu cette émergence des métropoles, à condition que celles-ci correspondent à des pôles d’équilibre à l’échelle européenne, ce qui ne peut concerner raisonnablement qu’une petite dizaine de territoires en France. Nous sommes malheureusement bien au-delà. Je le regrette car la multiplication du « label » métropole tend à lui faire perdre son sens, sa spécificité, sa force.

Ensuite, et c’est peut-être le cœur du sujet, il faut sortir d’une certaine vision fantasmée de la métropolisation, perçue soit comme un phénomène incontrôlable et dangereux, soit comme nécessairement vertueux et positif.

Refusons tout déterminisme dans un sens ou dans l’autre.

Refusons par exemple cette présentation, trop simpliste, où on imagine que l’hyper concentration des richesses de la métropole bénéficierait, mécaniquement, aux territoires environnants, par effet de ruissellement. On est là clairement dans le domaine de la pensée magique.

Méfions-nous des images sommaires où, par exemple dans la brochure de présentation de ces rencontres, la métropolisation est comparée à une « locomotive », laissant ainsi entendre que les autres seraient naturellement à la remorque.  Puisqu’on est dans le domaine des allégories, on pourrait, dans un registre plus scientifique, utiliser celle des « trous noirs » comme un clin d’œil et une mise en garde : les trous noirs, tels que les définissent les astrophysiciens, aspirent toute l’énergie qui les avoisinent au point que leur masse grossit sans cesse, jusqu’au moment où la concentration de matière est telle qu’ils se mettent en danger.

Sortons des images : les métropoles ne sont évidemment ni un danger inévitable, ni une réponse universelle ; elles seront ce que nous serons collectivement capables d’en faire.

Nous considérons à l’AMF, qu’elles représentent une chance réelle pour le développement de notre pays. Mais à la condition impérative d’adopter une démarche maitrisée, volontariste, afin de prévenir les risques de creusement des inégalités, à la fois à l’intérieur  du territoire métropolitains qui comprend généralement en son sein des communes de toutes tailles, urbaines, bien sûr, rurales aussi ; mais également avec les territoires extérieurs. Il s’agit de porter une vision politique forte, à rebours du « laisser-faire », pour favoriser l’équilibre des territoires, de « Co-construire des complémentarités pour partager une dynamique de croissance », ainsi que vous le postulez dans le titre même de ces journées qui nous rassemblent.

Cela passe, à notre sens,  avant tout par le maintien absolu de la cellule communale au sein des ensembles métropolitains. Je redis ici l’opposition de l’AMF à toute velléité de dissoudre la commune en transférant le suffrage universel direct au niveau intercommunal, quel qu’il soit….

Cela passe également par une liberté complète laissée aux élus pour inventer leurs politiques de coopération entre les différents territoires. Et si on veut qu’il s’agisse de coopération et non de concurrence, il faut alors donner à chacun les moyens d’exercer sa liberté. Il faut inventer les démarches porteuses d’un dialogue équilibré entre métropoles et territoires environnants afin de permettre un juste et équitable développement de chacun. On parle alors de « pacte de confiance », de « contrat de réciprocité ». Peu importe, il s’agit, simplement, de redonner un véritable contenu à une politique réinventée de l’aménagement du territoire.

C’est tout le sens des réflexions, du travail que mène actuellement l’AMF, notamment au travers de la mission confiée à Pierre Jarlier et Wilfried Schwartz sur la coopération entre territoires urbains et ruraux.

 

Ce qui est en jeu, c’est l’équilibre même de notre société, de notre Pays. Oui, les métropoles peuvent être porteuses de croissance et de progrès, mais elles ne le seront pas seules, la condition de la réussite, c’est la justice des territoires."