"C'est dans la Commune que réside la force du peuple libre"

Reproduction in extenso du discours d'André Laignel, premier vice-président délégué de l'AMF, à la tribune du Congrès des Maires de France le lundi 19 novembre 2013 lors du débat d'orientation de l'Association des Maires de France.

 

" Chers collègues,

Chers amis,

Nous avons, nombreux, depuis ce matin engagé un congrès sérieux, responsable, mais aussi à travers les conversations que nous avons pu avoir dans les couloirs, pour un certain nombre d'entre vous teinté de nostalgie. Nostalgie, parce que c'est pour quelques-uns d'entre vous le dernier congrès du mandat.

Je voudrais à cet instant saluer ceux qui, après un, deux voire plus de mandats, ont décidé de passer la main. Selon la fameuse expression, quand on est maire un jour, on est maire toujours. Ceux qui s'éloigneront, j'en suis persuadé, continueront à voir en eux cette flamme qui aura animé leur fonction pendant des années et des années.

Mais je voudrais ici, j'en suis convaincu, au nom de tous ceux qui vont se représenter, ce que ne veut pas dire qu'ils seront forcément tous élus, mais en tout cas au nom de tous ceux qui vont se représenter, dire à ceux qui ont décidé de passer la main, merci.

Merci pour ce que vous avez accompli, merci pour votre dévouement. Vous vous êtes consacrés aux populations qui vous en avaient confié la responsabilité. Vous avez oeuvré et je suis convaincu que cela aura laissé des traces, des traces dans votre village, dans votre ville mais aussi dans ce qu'aura été votre vie. Alors, très simplement, merci à vous toutes et à vous tous. Je crois que l'on peut applaudir ceux qui vont nous quitter.

Au-delà de cet hommage que nous leur devons, je crois que nous nous devons collectivement à ce que ce congrès soit un congrès utile. Ce n'est pas un congrès de bilan. C'est un congrès qui doit se projeter pour ceux qui continueront, qui doit se projeter au service de ceux qui nous rejoindront.

C'est pourquoi nous avons choisi j'allais dire de mettre les pieds dans le plat, d'aborder les vrais sujets et de les aborder de front. C'est bien entendu la question des moyens. C'est bien entendu la question des relations entre communes et intercommunalités. Et puis, c'est la question centrale, j'allais dire qui peut-être les rassemble toutes et qui a été débattue ce matin : 36.769 maires, est-ce une force ou une faiblesse pour la République ? Je crois que le débat de ce matin a été éclairant sur les réactions de nos collègues et j'y reviendrai dans quelques instants.

Nous sommes, chacun d'entre nous le sait, dans une période difficile. La France, l'Europe, le monde, les bouleversements, les changements de civilisation, tout cela nous impacte y compris dans nos plus petites communes. Nous savons aussi que le climat est tendu, on ne va pas se le cacher, et puis aussi que nous sommes sujets, nous les maires, individuellement ou collectivement, à des attaques permanentes, y compris parfois des attaques physiques. Je rencontrais ce matin un maire qui a été victime d'une attaque de ce type. Je crois que nous avons à avoir une solidarité, une force qui rappelle les fondamentaux, qui interdise que les maires puissent être ainsi soit pris en otages soit tabassés. Et il faut peut-être que nous ayons là plus de fermeté dans la punition lorsque de tels actes sont accomplis. Les représentants que nous sommes du premier échelon de la République ne peuvent pas être victimes.

De tout cela résulte des élus parfois lassés, parfois exaspérés, toujours passionnés. Mais je voudrais dire que deux dangers me semblent guetter nos communes : l'érosion d'une part et la dilution d'autre part.

L'érosion, bien sûr c'est la baisse de nos ressources, de nos moyens, de nos capacités d'action, couplée à une hausse de nos charges. C'est ce fameux effet de ciseaux que l'on évoque ici et là, qui contraint lourdement nos activités. Depuis cinq ans, c'est la suppression de la taxe professionnelle, c'est le gel et puis maintenant la baisse des dotations de 1,5 milliard. Il est vrai que l'autre candidat, lui, avait annoncé moins 2 milliards. Mais ce moins 1,5 milliard, il faut déjà l'absorber. Et puis, ce sont des charges qui, de leur côté, augmentent, ce que l'on appelle des charges contraintes. C'est l'augmentation des cotisations à la CNRACL, la caisse nationale des retraites. Ce sont les catégories C, et elles le méritent bien, qui vont être revalorisées. Ce sont les rythmes scolaires qui auront un coût bien évidemment même si c'est une bonne réforme qui va dans le sens de l'intérêt de l'enfant.

Mais oui, mes chers collègues, je ne vous demande pas de m'approuver. Mais je suis ici, mes chers collègues, et je m'attendais à cette réaction qui n'est pas digne de notre assemblée. Mais je veux vous dire : je ne vous demande pas de m'applaudir quand je vais dire mes désaccords avec le gouvernement. Mais je n'accepte pas plus vos huées quand je dis mon accord.

Nous avons les questions d'accessibilité, nous avons la hausse de la TVA, nous avons le financement de l'intercommunalité, autant de charges auxquelles il faut que nous soyons capables de faire face. Parallèlement, il y a eu des avancées. Jacques PELISSARD l'a rappelé il y a quelques instants, ces avancées, oui, nous les avons demandées et le gouvernement a bien voulu nous suivre sur ces sujets. C'est le financement, un an de plus, des activités périscolaires. C'est l'actualisation du remboursement du taux de la TVA.

Attendez, je ne voudrais pas croire que vous êtes, comme cela, j'allais dire quasiment « branchés » sur un seul sujet.

C'est bien entendu, à l'évidence, aussi la prise en compte de l'agence de financement pour laquelle nous nous sommes tant battus au sein de l'AMF et qui permettra, j'en suis convaincu, d'avoir des améliorations.

Et puis, au-delà de ces trois avancées, on nous dit : mais vous devez participer à l'effort, vous devez participer au redressement des comptes. Qui bien entendu peut se dire qu'il ne faut pas participer à l'effort collectif ? Qui peut ne pas souhaiter le redressement des comptes de notre pays ? Mais dites-moi, chers collègues, la dette, quelle est notre part dans la dette ? Dois-je rappeler que nous réalisons 71 % des investissements mais que nous représentons seulement 9 % de la dette publique ? Dois-je rappeler que, en ce qui concerne le déficit, bien entendu – et il ne faut pas cesser de le répéter, de le marteler tant je lis de faux titres dans la presse ou ailleurs sur les déficits des collectivités territoriales – dois-je rappeler que nous ne pouvons pas voter nos budgets en déficit ?

Et que donc, chaque fois que l'on parle de déficit, on commet une erreur, à la limite une attaque inacceptable contre les collectivités.

Et puis bien entendu… mais oui, là, vous pouvez… (applaudissements) Vous savez, j'ai décidé d'avoir le langage de la vérité, de ma vérité, de ma part de vérité. Et je continuerai.

Alors, oui, c'est vrai, le garrot financier s'est resserré ces dernières années. Et cela entraîne deux risques pour nos collectivités : le risque d'une panne des investissements d'une part, et le risque d'un affaiblissement de nos services publics.

La panne des investissements, ce serait grave. Ce serait grave parce que, les communes réalisant 71 % des investissements publics, en 2014, année où traditionnellement les investissements faiblissent, puisque de nouvelles équipes arrivent, qu’elles ne sont pas encore en place, la baisse de nos dotations, de nos ressources, la hausse de nos charges, au-delà de ce cycle électoral naturel, risquent d'entraîner une véritable panne de l'investissement public en France. C'est alors l'ensemble de l'économie nationale qui serait concernée ; pas seulement nos collectivités : l'ensemble de l'économie nationale, des branches entières d'entreprises qui seraient touchées.

Et puis, bien entendu le deuxième danger, c'est l'affaiblissement de nos services publics. Et nous savons bien que nous sommes en première ligne de la réponse aux attentes des populations. Alors, il ne faudrait pas que la baisse des dotations c'est-à-dire le soi-disant remède, soit pire que le mal, c'est-à-dire la baisse de nos investissements et le recul de nos services publics.

Pour éviter que le remède soit pire que le mal, je propose quelques pistes.

- soutenir l'investissement : j'ai déjà eu l'occasion de le dire dans le cadre de ma présidence du Comité des finances locales, dans le cadre de la Conférence des finances publiques locales qui avait été mise en place par le Premier ministre et à laquelle l'AMF participait bien entendu pleinement, parallèlement aux exigences que nous devons avoir d'utiliser chaque euro le mieux possible – et nous y travaillons, cela ne veut pas dire qu'on ait tout accompli, qu'il n'y ait pas encore des efforts à faire – au-delà de cela, il faut que l'on mette en place un dispositif d'aide à l'investissement, d'orientation de l'investissement sur les priorités nationales et les priorités locales et qu'il y ait un véritable dialogue autour de cette capacité à soutenir l'investissement.

- l'aide périscolaire: elle ne doit pas être seulement pour un an de plus, même si c'est déjà un acquis. Elle doit être pérennisée dans la durée et adaptée à la réalité.

- le financement de l'intercommunalité: eh bien cela ne doit pas être le transfert des communautés de communes vers les métropoles. Cela ne doit pas être un transfert financier. Le financement de l'intercommunalité, de ses évolutions, même et surtout quand elles sont positives, doit reposer bien entendu sur ceux qui en bénéficieront.

- et puis, on le dit à chaque fois, et nous espérons que cela trouvera des traductions, en tous cas le Premier ministre et le gouvernement ont été clairs en ce sens, il faut lutter contre les normes, il faut lutter contre les charges nouvelles et il faut que nous ayons la capacité de maîtriser cette évolution.

Le second danger, c'est la dilution. Certains, me semble-t-il – et cela vise la droite comme la gauche, cela vise les médias ou les chercheurs – voudraient affaiblir la commune, la diluer. M. BALLADUR avait employé un mot plus politique : il parlait « d'évaporation » des communes. Eh bien, nous ne voulons ni dilution ni évaporation.

Des textes vont en ce sens. Ce sont certains transferts obligatoires de compétences, et je pense en particulier au PLU intercommunal. Il peut être totalement justifié dans certains territoires. Il peut être totalement incohérent dans d'autres territoires. Et donc, la position simple qui est celle de l'AMF, c'est de dire : liberté, liberté ! Laissez les élus locaux choisir le modèle. Doit-on leur retirer le pouvoir d'aménager leur commune ? Ce n'est pas acceptable !

C'est la mutualisation corsetée. On nous explique qu'il faudrait obligatoirement transférer l'essentiel de nos personnels à l'intercommunalité et qu'il faudrait que – condescendance vis-à-vis de nos communes – la mutualisation soit descendante, qu'elle vienne de l'intercommunalité vers la commune. Mais pourquoi ce ne serait pas l'inverse ? Nous sommes nombreux à pratiquer l'inverse, à faire de la mutualisation parce que nous sommes tous, bien entendu, partisans de la mutualisation mais à faire que cette mutualisation aille de la commune vers l'intercommunalité. Pourquoi voudrait-on obligatoirement vider les communes de leur personnel ?

Et puis c'est la suppression de l'intérêt communautaire. Là aussi, danger, car si l'on supprime l'intérêt communauté, la vérité c'est que ce sera un recul pour l'intercommunalité. Et donc, donnons la capacité aux élus locaux, aux maires, de décider librement de l'organisation sur leur territoire.

Imaginez que toutes ces mesures entrent en fonction. Nous aurions alors des compétences amoindries, des finances affaiblies et peu de personnel. Que resterait-il alors de la capacité pour nos communes d'agir au service de nos concitoyens ? C'est bien entendu un modèle que je ne peux pas personnellement accepter.

Alors, on entend ici ou là, dans de savants colloques : « la commune, c'est dépassé ». Et l'on entend le clairon de ces faux modernes qui proposent d'en faire une vassale de l'intercommunalité avant, sans doute, de l'effacer du paysage. Eh bien, mes chers collègues, moi je pense qu'être moderne, c'est faire de l'intercommunalité un outil, un outil efficace, un outil fort, au service des communes. C'est appliquer le principe de subsidiarité, laisser au niveau de la commune tout ce que nos communes peuvent faire, et se rassembler dès que cela dépasse la capacité d'une seule commune, pour être efficace au service de nos concitoyens.

Etre moderne, c'est vouloir une commune forte dans une intercommunalité de projet. C'est aussi favoriser les rapprochements entre communes quand ils sont souhaités et volontaires. Etre moderne, voyez-vous, tout simplement, j'ai la faiblesse de penser que c'est toujours préférer la liberté à la contrainte. Et cette liberté préférée à la contrainte, je crois que c'est aussi la marque de ce que nous sommes au quotidien, nous les maires de France.

Ni érosion ni dilution, nous ne voulons pas de l'anémie de nos communes. Et d'ailleurs, le président de la République, aux Etats généraux de la démocratie territoriale, avait dit : « la commune est irremplaçable ». Eh bien oui, elle est irremplaçable. « Liberté, justice et confiance », ajoutait-il. Oui, liberté, justice, nous les voulons. Un pacte de confiance, nous le souhaitons. Mais à l'évidence, il reste à construire.

Alors simplement, passons des paroles aux actes. Fragiliser les communes, ce serait un risque inconsidéré. Sans nos services publics, pas de cohésion sociale, de justice sur nos territoires, de ce vivre ensemble dont nous sommes les porteurs quotidiens. Sans capacités d'investissement, pas de relance économique, de modernisation. Sans l'action locale, pas de développement durable, de politique du logement, de la petite enfance. Bref, la rupture du lien de proximité.

C'est vrai que nos attentes sont fortes, mais le Premier ministre, qui a été si longtemps maire, et dont tout le monde sait qu'il y a été un maire de qualité, saura, je le crois, entendre nos attentes et y répondre. Ces attentes, ces exigences, elles sont tout simplement à la hauteur de la passion qui nous anime dans nos fonctions, de l'amour que nous portons à nos communes.

Les grands défis que doit relever notre pays ne pourront pas l'être sans les maires de France. Les communes, disait François HOLLANDE, ne sont pas une charge pour le pays mais un atout pour réussir le redressement. Alors ne les étouffons pas, ne les bridons pas, réaffirmons le rôle de la commune. Rappelons-nous Tocqueville : « c'est dans la commune que réside la force des peuples libres ».

Alors, plus que jamais, tous ensembles, ayons la force et l'audace de croire en la commune et d'ouvrir de nouveaux espaces de liberté. C'est dans ces nouveaux espaces de liberté que nous construirons ensemble la France de demain.

Merci."