"Pour André Laignel, la politique est un sport de combat"

Le numéro deux de l’Association des maires de France, qui mène la fronde contre le pouvoir central, garde une bonne gauche.

Très tôt en rupture avec le système scolaire, l’ancien "Gavroche" de la banlieue Nord de Paris ne s’est jamais reconnu qu’un seul patron : François Mitterrand.

Son nom n’est pas prononcé mais, à l’évidence, son ombre plane sur les journées de France Urbaine, ce 5 avril 2018 à Dijon. Au détour de son discours, le Premier ministre lâche que, grand prince, l’Etat a inscrit la ville d’Issoudun dans le Plan gouvernemental Action cœur de ville.

 

Un peu plus tard, Edouard Philippe se défend vigoureusement, au chapitre financier, de passer un « pacte léonin » avec les collectivités. Une formule qui, à l’instar du « supplice du garrot » qui serait infligé par l’Etat aux communes, fait partie des classiques du répertoire du premier magistrat socialiste d’Issoudun, André Laignel.

 

Le verbe haut pour défendre la cause des communes

Voici dix ans que le numéro deux de l’Association des maires de France (AMF) se pose en opposant au pouvoir central. De Nicolas Sarkozy à Emmanuel Macron en passant par François Hollande, il ne ménage pas les puissants.

Le verbe haut pour défendre la cause des communes, la figure de l’aile gauche du PS est l’un des chouchous des maires sans étiquette et divers droite qui font l’ordinaire du congrès de l’AMF. A contrario, les aficionados d’une interco élue au suffrage universel direct sans fléchage dépeignent le président du Comité des finances locales en « archéo », toujours en retard d’une guerre. Dans son modeste bureau de l’AMF, l’intéressé n’en a cure.

 

Pas né avec une cuillère en argent dans la bouche

André Laignel connaît la rengaine. Elle apparaît à l’automne 1981, dans le débat sur les nationalisations. Face à l’ancien garde des Sceaux du général de Gaulle, Jean Foyer, le député de l’Indre a ce mot, mémorable : «Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire.» La négation du droit pour ses contempteurs, qui affublent le chantre de la rupture avec le capitalisme du doux sobriquet de « nain sectaire », en référence à sa courte taille.

Trente-six ans après, l’ex-trésorier du PS n’en démord pas : «Le débat portait sur l’un des deux critères des nationalisations, au côté de la juste indemnisation, l’intérêt général qui repose sur le libre choix du Parlement. Ma phrase était donc parfaitement justifiée. Les nationalisations ont d’ailleurs été validées par le Conseil constitutionnel.»

Le personnage tranche dans l’univers de plus en plus aseptisé de la politique. André Laignel n’est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche. Il grandit à Clichy, élevé par une mère ouvrière-cartonnière atteinte de la tuberculose. Lui-même souffre, enfant, des poumons. Dans le minuscule appartement de la banlieue Nord de Paris, il n’y a pas l’eau chaude. Le père, éboueur-balayeur, n’est plus là. Le petit « Dédé » le voit certains jeudis… «Mais, on ne va pas faire du Zola», lâche-t-il, pudique.

 

École buissonnière sur les « fortifs »

Les choses ne sont d’ailleurs pas si simples. En bas de l’échelle sociale, le père est aussi très respecté au «parti». A la Libération, le PCF propose au militant résistant, croix de guerre, de devenir maire de Clichy, apprend-on au détour de la biographie que Jean Diharsce a consacré à André Laignel (« André Laignel, un Gavroche en politique », éditions de l’Aube, 2011.). Le père décline, peu porté sur l’autorité.Son rejeton est fait du même bois. « Forte tête, inadapté à la classe », André Laignel fait très tôt l’école buissonnière. « C’était un vrai zonard sur les fortifs, cette vaste friche à l’emplacement des anciennes fortifications de Paris », évoque Jean Diharsce. Chien perdu sans collier, André Laignel rompt avec le système scolaire à 14 ans.

Cela ne l’empêche pas de dévorer des romans. Encarté adolescent au PCF et à la CGT, il est élevé à l’école d’Aragon. Il enchaîne les boulots : électricien, rouleur de chariot, employé aux écritures… Il n’est pas du genre à s’en laisser conter. André Laignel a beau être souvent le plus petit, il est aussi ceinture noire de judo. Il se voit nageur de combat durant son service. Mauvaise pioche. La place n’est pas ouverte aux appelés du contingent.

 

Autodidacte, il trace sa route jusqu’au doctorat

Contre mauvaise fortune, l’autodidacte prend des cours du soir et prépare sa capacité en droit durant son bail sous les drapeaux. Il trace sa route jusqu’au doctorat. Sa plus grande fierté. André Laignel devient assistant à la fac de droit du futur député radical Roger-Gérard Schwartzenberg, puis du grand Maurice Duverger.

Mais son « seul patron » demeure François Mitterrand. D’abord « grouillot » auprès du futur chef de l’union de la gauche, André Laignel fait définitivement ses preuves lors d’une réunion publique à Issoudun en 1973. A la tribune, l’orateur comble un retard de François Mitterrand de plus de… deux heures. Il s’impose alors en vedette américaine des meetings du futur chef de l’Etat.

 

Il fait corps avec sa cité d’Issoudun

Dans le même temps, le titi de Clichy s’enracine à Issoudun (Indre) dans le sillage de Charles Hernu, candidat aux législatives de 1968 de à Châteauroux. Voici plus de quatre décennies qu’il occupe le bureau de maire. André Laignel, qui ne fait pas mystère de son appartenance à la franc-maçonnerie, entend traiter ses administrés en citoyens. Sa localité, jadis simple bourg rural, dispose d’un niveau d’équipement culturel sans équivalent dans une ville de 13 000 habitants.

L’édile, qui fait littéralement corps avec sa cité industrielle et ouvrière, ne quitte pas son poste de maire quand François Mitterrand l’appelle au gouvernement durant son deuxième septennat. La limitation du cumul dans le temps n’est définitivement pas son genre. « Tout est ouvert », glisse le septuagénaire à propos d’une nouvelle candidature aux municipales de 2020, visiblement peu désireux de raccrocher les gants.

 

 

·   Chiffres-clés

DDepuis 2012 : président du Comité des finances locales.

·  Depuis 2001 : numéro deux de l’Association des maires de France.

· 1991-1993 : secrétaire d’Etat à l’Aménagement du territoire.

· 1988-1991 : secrétaire d’Etat à la formation professionnelle.

· 1979 : plus jeune président de conseil général (celui de l’Indre) de France.

· Depuis 1977 : maire d’Issoudun (Indre).

· 1968 : collaborateur à titre bénévole de François Mitterrand.

·  1942 : naissance à Paris.

 

 

Article de Jean-Baptiste Forray publié dans la Gazette des Communes en date du 7 mai 2018.